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Discours d'ouverture: Etre témoins fidèles: Servir Dieu dans un monde en mutation
Contents
Jean Zaru
Assemblée mensuelle de Ramallah,
Assemblée annuelle du Moyen-Orient)
The Religious Society of Friends (Quakers)
la pleine expression de nos témoignages quakers dans le monde.
“Que la paix, la miséricorde et les bénédictions
de Dieu soient avec vous.” (prononcé en arabe)
Mes sœurs et frères, je viens du cœur de la Palestine, pays assiégé et violé par l’occupation militaire israélienne, pour être avec vous aujourd’hui. Arrivée du milieu de la Palestine, nation torturée et captive, je me tiens devant vous aujourd’hui. A cette réunion nous apportons tous notre histoire, notre expérience personnelle, et le contexte qui modèle notre manière de voir le monde et notre place, en tant qu’Ami(e)s, dans le monde. En écoutant en profondeur et en partageant avec franchise nous apprenons des choses les uns des autres et notre vision s’agrandit en largeur et en profondeur.
L’histoire de mon peuple est une histoire de souffrance humaine et d’espoir humain. Je représente un récit d’exclusion, de la négation de droits fondamentaux de la personne et de la communauté. Néanmoins, je viens avec un message d’espoir. C’est un message incarné par la volonté et le courage de tous ceux qui refusent les forces d’oppression, de violence et d’injustice, les structures de domination, de colonialisme et d’occupation étrangère.
La situation en Palestine exige toutes nos ressources: physiques, mentales, émotionelles et spirituelles. Et dans les nuits les plus obscures de l‘âme, nous cherchons votre affirmation et vos actions, d’autant plus que les gouvernements et les systèmes de pouvoir nous ont trahis à cause de leur politique de pouvoir, leur manque de volonté et leur égoïsme myope.
A Jérusalem aujourd’hui l’atmosphère est lourde de menaces, et la situation dans la Terre Sainte est bien plus complexe que celle que nous rencontrons dans les pages de Luc au premier siècle. Même mon identité de chrétienne palestinienne est difficile à expliquer à ceux qui vivent en dehors de mon contexte immédiat — sans parler de mon identité de quaker. Quand j’ai parlé aux Etats-Unis en me présentant comme “quaker palestinienne”, on a dit “quoi de plus absurde”. Je ne sais pas pourquoi, mais on nous perçoit ainsi. Je suis chrétienne et Palestinienne. Impossible de séparer une partie de mon identité de l’autre. On parle souvent de nous autres chrétiens palestiniens comme la broderie de notre peuple. Nous sommes une partie entremêlée et intégrale de la société entière, et personne ne peut nous enlever cela.
Malgré notre qualité d’héritiers modernes des disciples de Jésus à Jérusalem, et malgré notre riche contribution au Moyen-Orient, nous sommes devenus inconnus, négligés et oubliés de la plupart du monde. Peu de gens se rendent compte qu’il existe des chrétiens au Moyen-Orient et en Palestine. Ou sachant que nous ne sommes pas nombreux ils pensent que nous sommes des convertis de missionaires occidentaux.
Nous sommes une communauté bien éduquée avec des racines historiques profondes, communauté qui, malheureusement, se réduit chaque jour à cause de pressions politiques et économiques. Notre avenir est incertain; les pressions sont énormes.
Etant à l’intérieur de notre société, non à l’extérieur, nous avons le défi journalier de rester fidèles, de témoigner de notre foi dans les circonstances très noires où aucun de nos droits n’est garanti aux Palestiniens. Avec nos sœurs et frères musulmans, nous nous trouvons aux marges de la vie en Palestine, et nous partageons une réalité commune de souffrance prolongée et de travail collectif dans l’espoir d’un avenir plus clair.
Ainsi suis-je venue parmi vous, des extrémités de la terre, de Jérusalem et de la Judée, au cours d’un pèlerinage de vérité, pour conter mon histoire et pour témoigner de ce que je connais par expérience tous les jours. J’ai voyagé de ma terre natale à un endroit où nous nous rencontrons, Ami(e)s des bouts de monde, pour réfléchir sur notre obligation d‘être témoins fidèles en essayant de servir Dieu dans un monde en mutation.
Dans toute notre diversité, qu’est-ce que nous tenons en commun?
“Mais vous recevrez une puissance, le Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.” (Actes 1:8)
Comment comprenons-nous la nature du pouvoir dans notre monde? Comment comprenons-nous la puissance que nous recevons quand le Saint-Esprit survient sur nous? De quoi devons-nous témoigner?
Comme je cherchais des réponses à ces questions en préparation pour venir vous parler, une page écrite par Edicio de la Torre m’a frappée profondément. Elle s’appelle Méditation sur les murs. Je partagerai d’abord cette Méditation, et vous allez voir par la suite que les murs sont pour nous métaphore et réalité à la fois. Vous verrez, je pense, qu’un aspect central de notre témoignage doit être le démontage des murs.
Méditation sur les murs1
Il y a des murs qui divisent une seule nation, un seul peuple,
comme la Corée.
Murs d’idéologie, construits par des grandes puissances,
qui font que frères et sœurs
se voient les uns les autres comme différents, comme ennemis.
En Afrique du Sud, l’apartheid est un mur raciste.
C’est l’exemple le plus visible,
mais d’autres pays ont leurs propres murs racistes.
Des murs à sens unique divisent le Nord et le Sud.
Les pays du nord peuvent entrer dans le sud
pour investir, pour intervenir — même pour envahir.
Les pays du sud confrontent des murs protectionnistes.
[Cela explique l’absence de certains Ami(e)s aujourd’hui.]
Les murs du nord montent de plus en plus haut
contre les immigrants et les réfugiés.
Il y a des murs entre nations et peuples opprimés.
De vieux murs hérités du passé, qu’ils ont choisi de garder.
De nouveaux murs qu’ils ont construits pour s’opposer les uns les autres.
Il y a des murs
que les églises construisent à qui mieux mieux
pour tenter d’emprisonner et de limiter
le pouvoir et la grâce salutaires de Dieu.
Il y a des murs trop proches pour être vus,
trop douloureux pour être confrontés.
Des murs que nous gardons par commodité.
Entre les hommes et les femmes, dans les familles,
parmi les amis et les camarades
dans la lutte pour la justice, la paix
et l’intégralité de la création.
Que devons-nous faire de ces murs?
Reconnaître qu’ils existent et qu’ils ne disparaîtront pas bientôt?
Mais si ce sont des gens qui les ont construits,
alors des gens peuvent aussi les démolir.
Peut-être pas tous à la fois,
avec une fanfare de trompettes comme à Jéricho,
mais en créant assez de brèches, assez d’ouvertures.
Nous remercions Dieu pour les murs qui sont tombés.
Et pour ceux dont la foi n’a pas cessé de lutter quand les murs semblaient éternels,
et dont le sang marque l’endroit où ils ont donné leur vie
contre le mur.
Edicio de la Torre
Philippines, 1990
Quels sont les murs que vous confrontez dans votre vie, peut-être même des murs que vous avez aidé à bâtir?
Il y a plus de cinquante ans, on a rejeté le peuple palestinien de la marche de l’histoire, on a nié notre identité, supprimé notre réalité très humaine, culturelle et historique. Nous avons été victimes du mythe cruel: ‘une terre sans peuple pour un peuple sans terre’. Et nous sommes toujours victimes d’un projet exclusif – projet qui a usurpé nos droits et nos terres, et confisqué aussi notre récit de l’histoire.
On a détruit plus de 500 villages dans le territoire qui est devenu Israël, chassant des centaines de milliers de Palestiniens comme réfugiés ou comme personnes déplacées. Aujourd’hui, les Palestiniens sont la population de réfugiés la plus grande du monde et la plus ancienne. Nous sommes plus de cinq millions qui attendent pour rentrer chez nous. Ceux qui sont restés là où on a créé plus tard l‘état d’Israël continuent à connaître l’exclusion et la discrimination dans leur patrie historique. Ceux qui ont subi l’arrivée des Israéliens en 1967 en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza, et à Jérusalem-Est sont sujets depuis lors à une combinaison unique d’occupation militaire, de colonisation et d’oppression systématique.
J’ai vécu toute ma vie à Ramallah, et plus de la moitié sous l’occupation militaire israélienne. Il n’a jamais été aussi difficile qu’aujourd’hui. Les troupes israéliennes s’augmentent dans les territoires occupés, le siège nous serre de plus en plus fort, et on nous impose une politique de bombardements persistants, de fusillades au hasard, d’assassinats politiques, de couvre-feu, d’appauvrissement (les deux-tiers de notre population vivent de moins de $2 par jour), d’enlèvements, d’emprisonnements, de démolitions de maisons, de confiscations illégales de nos terres et de nos eaux, et de destruction des moissons et des arbres qui nous restent.
Il y a dans les geôles israéliennes des milliers de prisonniers politiques palestiniens. Des milliers sont détenus sans charge ni procès. Certains sont des enfants. Depuis le début de l’occupation on a détruit au moins 10 000 maisons dans les territoires occupés, laissant des dizaines de milliers sans abri. Les colonies israéliennes ont poussé comme des champignons — au moins 214 en Cisjordanie et 18 dans la Bande de Gaza. Gaza a la population le plus dense du monde. Récemment, l‘état d’Israël a annoncé ses intentions d’augmenter beaucoup le nombre des colonies dans le Golan syrien aussi. Et puis, ils nous disent que nous ne voulons pas la paix, nous! La réalité sur place dit autrement. Pour lier toutes ces colonies illégales, surtout en Cisjordanie, et pour rendre impossible un état Palestinien viable et indépendent, ils ont contruit environ 350 km de routes et de rocages sur les terres confisquées. Tous ces actes sont illégaux sous le droit international, enfreignant la Quatrième convention de Genève. D’ailleurs, les Nations Unies parlent de la limitation du mouvement comme l’une des punitions qui nous prive de la plupart de nos droits humains les plus fondamentaux. Il y a plus de 400 postes de contrôle en Cisjordanie. Nous ne pouvons donc pas utiliser les routes pour aller d’un village palestinien et un autre.
Je vous donne un seul exemple — mon propre voyage pour quitter le pays. Impossible de partir par Tel Aviv. Il me faut traverser le pont du Jordain et prendre un vol à Amman. Or, Jéricho est à vingt-cinq minutes de ma ville de Ramallah. Mais il faut six heures pour y arriver. Impossible de prendre les routes. Je prends trois taxis, un long chemin à dos d‘âne, et 1.6 km à pied, passant derrière des montagnes. Cela n’est pas imposé pour des raisons de sécurité, c’est imposé pour l’humiliation, pour que les gens partent et ne restent pas. Quand je suis partie cela a été si difficile qu’au début de décembre, fini mon tour de conférences, je ne suis pas rentrée chez moi. Mon fils m’a dit: “Maman, si tu rentres en Palestine tu n’auras pas assez de temps pour acheter tous les permis et retraverser toutes ces épreuves pour assister à cette réunion.” Je suis donc restée aux Etats-Unis, avant de passer par la Jordanie et venir vous voir ici.
La sévérité et la fréquence des infractions de nos droits humains, politiques, sociaux et environnementaux ne fait d’accroître. Sans doute la réalité la plus dangereuse sur place en ce moment est le mur de séparation construit par les Israéliens, qui bafoue tous les projets de paix actuels, y compris la Carte Routière, et qui méprise toute méthode qui pourrait résoudre le conflit sur des bases de droits. Plus de 250 000 Palestiniens seront affectés par ce mur d’apartheid qui tranche profondément dans les territoires de 1967. Jusqu-ici on a déraciné 102,350 arbres et emprisonné plus de 11,000 gens dans le “no-man’s land“entre le mur et l‘état d’Israël, les séparant du reste de la société palestinienne.
Dans la première phase de construction du mur, on a transformé plus de 12,145 hectares de terres palestiniennes en “zones militaires closes”. Toute personne trouvée dans une de ces zones peut été fusillée. De plus, 50 villages palestiniennes se trouveront bientôt du côté isaélien du mur, annexés, ou séparés de leurs terres agricoles. Pendant que la construction se poursuit — ce qui a commencé maintenant autour de ma ville de Ramallah — il y a eu des manifestations de groupes pacifistes israéliens, du Mouvement de Solidarité Internationale, et de Palestiniens. Certains d’entre eux ont été fusillés dans ces manifestations pacifiques. La construction du mur continuera à confisquer et à détruire la propriété privée. Elle privera des familles de leur maisons et de leur accès aux puits d’eau. D’autre part, au milieu d’une crises d’eau régionale, on a détruit 35,000 mètres de tuyaux d’eau. Ces tuyaux ont été construits à l’aide de contributions de la Communauté européenne, qui a porté plainte au gouvernement israélien, mais personnne n‘écoute. En plus de la difficulté et la misère causées à présent et dans l’avenir par ce mur, son importance plus large vient du fait qu’il rendra impossible un état palestinien contigu, viable et libre. Sans aucun doute, nos malheurs sont nombreux.
Notre pays devient une prison gigantesque et un vaste cimetière. On a brutalisé le peuple, la terre, les arbres et les maisons. La peur et l’insécurité ont remplacé la compassion et la confiance. Les relations sont devenues dures et tendues. Quand l’oppression et l’humiliation encadrent presque tous les aspects de la vie, l’espace moral se trouve diminué. Notre propre humanité est menacée, et il devient difficile de trouver des modèles pour nos enfants. Les gens sont fatigués et déprimés, traumatisés par la violence qu’on perpétue contre eux et qui affecte leur santé physique et mentale. Mon peuple a besoin de temps pour pleurer, pour guérir ses blessures, pour apaiser ses enfants et pour trouver son pain de chaque jour.
J’ai trouvé que dans mon contexte la forme de tricherie la plus fondamentale c’est la fabrication d’une fausse symmétrie entre occupants et occupés, entre oppresseur et victime opprimée. On traite comme égales d’une part la violence de la puissante armée d’occupation israélienne qui utilise des obus explosifs, des blindés et des hélicoptères de combat, et de l’autre part la violence des civils palestiniens qui protestent leur oppression et la perte continue de droits, de terres et de vies. De surcroît, si nous ne sommes pas reconnaissants pour cette forme d’occupation, de colonisation, et de Bantustans isolés sous le système d’apartheid israélien, alors on nous bombardera jusqu‘à la soumission.
Pour moi c’est clair: l’ocupation militaire israélienne de la Cisjordanie, de Gaza, et de Jérusalem-Est doit finir. C’est cela la forme de violence la plus pervasive, à la fois directe et structurale, de violation des droits de la personne, et d’asservissement immoral d’une nation entière. C’est cela la provocation suprême aux niveaux individu et collectif.
On ne peut résoudre les conflits que de façon politique et légale sur la base d’une parité de droits et de l’autorité mondiale du droit. Tous, uniformément sous les mêmes normes, doivent adhérer aux résolutions du Conseil de Sécurité et au droit international. Israël n’est pas au-dessus de la loi. J’espère fermement que le public israélien et la communauté internationale se rendront compte de l’extrême danger de sa politique avant qu’il ne soit trop tard et qu’on ne verse encore du sang innocent. Et j’espère que le gouvernement des Etats-Unis constatera que son soutien aveugle et son aide militaire à Israël n’est pas forcément au bénéfice des Juifs ou d’Israël, ni même qu’ils servent les meilleurs intérêts de Washington.
Mon cœur me fend en connaissant la douleur, l’humiliation et l’injustice dont souffre mon peuple. Mon expérience vécue et mon travail œcuménique dans plusieurs coins du monde m’obligent de partager notre histoire avec vous afin d‘être témoin fidèle, et de partager aussi les défis spirituels que nous rencontrons dans un contexte où la violence, ou la menace de la violence, est toujours présente.
Ayant vécu plus de 36 ans sous une occupation militaire étrangère (israélienne) et ayant élevé mes trois enfants et mes sept petits-enfants dans une situation où l’on nous refuse le droit à l’autodétermination et à la liberté, je me pose constamment ces questions centrales:
Quel est mon témoignage? Quel est le témoignage de ma communauté, mon peuple ? A la lumière des défis en face de nous, quelle en est notre part de responsabilité?
Comme Palestiniens, nous faisons tous partie de la lutte politique pour mettre fin à l’occupation israélienne et pour travailler pour l‘égalité de tous. Nous participons pleinement à la vie de notre communauté, à nos programmes d’assistance sociale, d‘éducation, de santé, et de développement économique. Pour certaines de ces activités nous recevons le soutien de nombreuses églises et de pays occidentaux. Dans notre recherche d’identité, de dignité et d’aide mutuelle, nous devons refuser les vieilles structures de “donner et recevoir” qui portent un discours de puissance et d’impuissance. Nous devons apprendre ensemble la bénédiction de donner et de recevoir, de donner en recevant, de recevoir en donnant.. Un tel partage nous permettra de nous découvrir les uns les autres, et nous mènera vers une responsabilité et une transparence réciproques.
L’heure n’est-elle pas venue de former un nouveau modèle d’aide qui pourrait ouvrir un partenariat plus riche?
En témoignant à la démocratie et à l‘égalité, nous ne pouvons pas nous taire sur la situation des femmes dans notre société. Les églises devraient former l’avant-garde du travail pour la justice sociale. La théologienne catholique Rosemary Radford Ruether a appelé les Quakers “les mères du féminisme”.
Témoignons-nous vraiment de cet héritage dans toutes les professions? Comment pourrions-nous faire cela de manière plus complète?
Nous vivons côte à côte avec nos voisins musulmans. De chaque côté on se souvient de l’histoire des croisades. L’invasion de l’Irak est toute récente dans notre mémoire et la souffrance des irakiens se poursuit. Notre oppression sous l’occupation israélienne n’aurait pas pu durer si longtemps sans aide extérieure. L‘état d’ Israël reçoit, par tête d’habitant, plus d’aide de l’USA qu’aucun autre état dans toute l’histoire. Cette aide, avec le soutien politique que donnent aussi les Etats-Unis, permet à Israël de resserrer son occupation et de rendre notre vie plus difficile encore, plus insupportable.
On a tellement tordu la vérité que quiconque ose demander la justice se trouve associé au terrorisme, à l’anti-sémitisme ou même aux ‘forces anti-Dieu”, selon la théologie de certains qui croient comprendre la volonté divine pour la terre. Cela se fait au nom du soi-disant Occident chrétien. Nous autres chrétiens palestiniens indigènes, nous devons absolument répondre à de telles prétensions et aux nombreux chefs religieux qui exploitent la Bible pour soutenir la légitimité, les politiques et la conduite d’ Israël. Ces chrétiens ont établi un lien entre l’Israël de la Bible et l‘état moderne d’Israël. On justifie la discrimination, l’oppression et la dépossession dans mon pays en citant des textes bibliques. David Ben-Gurion a appelé la Bible le “titre de propriété sacro-saint” par lequel le peuple juif aurait droit à la Palestine. Récemment, lors d’une grande manifestation en Palestine, les groupes juifs de droite disaient: “Nous n’avons pas besoin de carte routière. Nous en avons une déjà: c’est la Bible. Nous devons continuer à coloniser la terre.”
Comme chrétiens palestiniens nous devons libérer notre théologie d’une telle conception. Dieu est, pour nous, un Dieu de justice et de compassion, pas un Dieu de vengeance et d’exclusivité. Comme chrétiens palestiniens, nous avons été oubliés pendant longtemps, même inconnus, certainement pas reconnus. Nous avons souffert, avec tout notre peuple, de dépossession, de déplacement et d’oppression. On nous blâme alors pour l’histoire, la politique et la théologie d’autres groupes. Ainsi nous souffrons comme chrétiens en Palestine d’un tout autre niveau d’oppression — de la théologie des chrétiens de droite. C’est pour cette raison que je me suis engagée dans la théologie de la libération. N’imaginez pas que je n’aie rien d’autre à faire!
Heureusement, il y a de nombreux témoins fidèles en Palestine et en Israël. Les Christian Peacemaker Teams (équipes de pacificateurs chrétiens), les membres du programme accompagnement du Conseil œucuménique des Eglises, et le Mouvement international de solidarité — auquel beaucoup de Palestiniens et d’Israéliens se sont inscrits —, et plusieurs Juifs d’autres pays, tous portent un témoignage à la paix et à la justice. Je n’ai cité qu’un petit nombre d’exemples.
Comment donc est-ce que mes propres expériences de chrétienne palestinienne influencent notre conversation de Quakers, comme nous cherchons la direction de l’esprit pour être des témoins fidèles?
Mon contexte en Palestine et mes voyages à travers le monde m’ont mise en relation avec beacuoup de traditions religieuses. Beaucoup de penseurs luttent avec la diversité religieuse. D’autres, comme activistes, s’occupent du militarisme, de la dégradation de l’environnement, du racisme et du sexisme. J’ai trouvé souvent que le dialogue n’est pas facile, ni au sein de la tradition chrétienne ni parmi ces groupes variés. Puisque certaines des difficultés touchent à notre conception de témoignage, de mission et de la Bible, je crois que nous les rencontrerons dans notre travail avec d’autres Ami(e)s.
Je dois dire sans tarder que, personnellement, je ne peux pas lire la Bible au pied de la lettre. Pour moi, les histoires bibliques révèlent non pas la pleine réalité de Dieu mais les perceptions des gens à son sujet. Dieu est plus grand que tout ce que nous pouvons dire ou écrire à son propos. Il faut abandonner, je crois, l’opinion qu’on doit comprendre la Bible d’une façon littéraliste. Elle contient de nombreux récits problématiques, dont des textes extrêmement violents, qui affrontent nos sensibilités morales. Il faut faire de grands efforts pour empêcher que la Bible ne serve comme arme dans l’oppression d’un peuple par un autre. Un prêtre irlandais a écrit un livre intitulé The Bible and Colonialism 2. Il y parle de l’usage qu’on a fait de la Bible comme outil d’oppression plutôt que de libération, en Palestine, aux Amériques, et un Afrique du Sud. A Nairobi en 1975, lors de l’Assemblée du Conseil œcuménique des Eglises, on a présenté une pièce de théâtre africaine. Je me souviens des Africains qui disaient: “A l’arrivée des colons nous avions la terre et eux la Bible. Maintenant ils ont la terre et nous la Bible.” Mais Dieu était présent et actif dans le monde bien avant l’existence des missionnaires chrétiens.
Si nous voulons savoir ce que Dieu fait dans le monde, l’Esprit nous commande d’avoir les yeux et les oreilles ouverts aux témoignages des autres. Après tout, qui dit l’Esprit, dit mouvement, et la présence de Dieu. L’Esprit remplit, inspire, enseigne, rappelle et réconforte. L’Esprit nourrit la contemplation et en même temps donne la puissance pour agir.
Refléchissant à ce verset des Actes ch 1, v 8, et luttant avec lui, j’ai été dirigée aux pensées suivantes:
Mais vous recevrez une puissance, le Saint-Esprit survenant sur vous…
Evidemment, on insiste sur le besoin d’attendre. Il faut attendre que le Saint-Esprit survienne sur nous. Ne pressez pas le pas, sinon ce sera votre propre esprit ou le mien, non pas celui de Dieu. Le travail qui nous vide de notre propre moi est absolument essentiel. D’ailleurs, ce travail est dur. Il inclut les questions suivantes, qu’on doit se poser de manière profonde et sérieuse: “Pourquoi est-ce que je veux faire ceci? Pourquoi est-ce que je veux dire ceci?” Car toutes les paroles que nous voulons prononcer ne sont pas forcément inspirées par l’Esprit. L’Esprit de Dieu est surtout amour et compassion, ce n’est pas simplement des signes insolites et hors du commun.
…et vous serez mes témoins à Jéruslaem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.
“Etre témoins”, selon ma conception, est affaire de tout ce qu’on est, il n’est nullement limité aux paroles ou aux sermons, qui ne montrent qu’une petite partie de la chose, je crois. Et pour moi, mon témoignage doit rayonner le plus dans ma manière de vivre. Comment je vis, mon comportement, mes relations avec autrui disent plus sur ce que je suis, en relation avec Dieu.
Est-ce que la vision de Jésus (dans le Sermon sur la Montagne) trouve un écho en moi, est-ce qu’elle transparaît dans les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne?
Ce que je suis, qui je suis, cela montre si je témoigne vraiment de Jésus, ou bien de moi-même, d’un autre “maître” ou d’une série d’idées ou de convictions politiques.
Tout cela ne démontre-t-il pas que vous et moi — où que nous soyons, quelles que soient les conditions, et si tout est authentique en nous — nous pourrions exprimer inconsciemment l’Esprit et le chemin de Jésus?
Chuang Tzu et d’autres sages chinois soulignaient beaucoup l’importance de ne pas savoir quand le vrai Esprit survient par nous. Si nous sommes conscients de nous, il y a un grand danger que notre moi s’y mêle. Si nous sommes tristement gênés, comme le sont souvent les chrétiens et les missionnaires, alors nos actions risquent d‘être inutiles.
Les chrétiens varient beaucoup dans leur conception de témoignage et de mission. Dans de nombreux endroits que j’ai visités, le souci d‘évangélisme dans l‘église est associé à l’influence croissante, dans leur contexte comme dans le mien, de sectes et de nouveaux mouvements religieux. Les histoires se ressemblent beaucoup, de la Russie au Pacifique, du Moyen-Orient à l’Afrique du Sud. Les églises sont troublées par un grand afflux de groupes chrétiens charismatiques et fondamentalistes, et par leurs moyens agressifs de recrutement. Je suis troublée par leur théologie, qui préconise généralement une exclusivité nationaliste ou religieuse et la subordination de la femme. Ils rejettent nombre des valeurs politiques et éthiques de la démocratie moderne, les droits fondamentaux de la personne, le pluralisme, la liberté de la parole, et le partage du pouvoir et de la responsabilité. Leur lecture littérale de la Bible est épouvantable et violente; et très souvent elle justifie mon oppression et ma dépossession comment étant approuvées par Dieu. Ceci est sérieux, dangereux même.
Ne faut-il pas diriger nos efforts à exposer une vision religieuse qui peut contribuer à une optique mondiale et un discours de communauté humaine radicale et démocratique et de bien-être pour tous? D’ailleurs, ne devons-nous pas exposer et puis réaliser une vision spirituelle de la justice, une vision libératrice?
Il faudra repenser les études bibliques de sorte qu’elles contribuent à énoncer des conceptions spirituelles envisageant, par de nouvelles voies, la dignité humaine, la justice, l’inclusivité et la diversité.
Souvent le témoignage de l’action a mis en doute le témoignage de la Parole. Etre témoins de Jésus, c’est suivre son chemin et sa mission selon l’Evangile de Luc 4:18-19:
L’Esprit du Seigneur est sur moi. Parce qu’il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres, pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour publier une année de grâce du Seigneur.
Ce message porte sur la justice économique, sociale, politique et environnementale. C’est de cela que nous devons nous occuper si nous voulons témoigner de la vérité, comme disait souvent Jésus. Nous ne pouvons pas distinguer entre action sociale et témoignage, car c’est l’action sociate qui révèle l’authenticité de notre témoignage fidèle à Jésus-Christ.
Le long de son ministère, Jésus a mis au centre de son message le royaume de Dieu. Jésus envisageait une société sur terre où la volonté de Dieu serait aussi parfaite qu’aux cieux. Pour cette raison précise, ce serait forcément un royaume fondé sur l’amour et non pas sur le pouvoir. Sa source, c’est le pouvoir de l’amour, et non pas l’amour violent du pouvoir. Le royaume du Christ est un royaume de vérité. Comme l’a dit Paul aux Romains:
Le royaume de Dieu, c’est la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit. (14:17)
Pour travailler pour le royaume de Dieu sur la terre, nous devons recevoir la puissance du Saint-Esprit. Il ne faut pas penser que l’Esprit soit né assez récemment. Il est bien possible qu’une puissance existe depuis toujours, et que les gens ne la connaissent qu‘à un moment donné bien tardif. La puissance de l’Esprit fait de nous des témoins du Christ. Le témoin doit opérer dans des cercles toujours grandissants et sans limites, car le message est universel.
Un témoin, c’est quelqu’un qui sait, qui peut donner un témoignage oculaire de ce qu’il a vu, entendu, éprouvé. Un vrai témoin ne témoigne pas de paroles mais d’actions. Pour moi, la foi est source de puissance. La foi devrait nous diriger et activer pour que nous trouvions des solutions humaines justes et vivantes en réponse à l’injustice. Sans un engagement sincère à la guérison et la réconciliation de notre monde brisé, comment pourrions-nous posséder le discernement ou la confiance qui sont propres aux enfants de Dieu – à ceux qui participent déjà, par la grâce, à la vie divine qui nous est ouverte en Christ ?” La foi est plus grande que la simple croyance, ou que l’espoir que Dieu se passera de nous. C’est la participation active dans le travail de Dieu, dans la tâche d’apporter la justice aux nations. Il faut apporter la vraie justice à tous — aux Palestiniens, mais non pas aux dépens des israéliens; aux femmes mais non pas aux dépens des hommes; à l’humanité mais non pas aux dépens de la nature et de la terre nourrissière. Certes, c’est la justice pour toute créature et pour la création.
Comment donc être des témoins fidèles dans un monde en mutation?
Pouvons-nous trouver la base d’une communauté plus large, plus profonde, plus durable? Capable d’inclure notre destin commun, l‘écosystème que nous partageons? Une communauté qui affirme notre humanité commune et qui reconnaît nos possibilités?
Rendons-nous compte que nous sommes membres d’un seul corps, comme nous dit Saint Paul? Que si l’un est blessé, nous souffrons tous?
Nous sommes engagés dans l’humanité parce que l’humanité c’est nous. Plus nous reconnaissons Dieu en nous-mêmes, plus nous reconnaissons Dieu dans les autres et plus nous nous approchons d’eux. Vivre dans l’Esprit de Dieu nous rendra plus conscients de chaque créature et de sa valeur. Nous serons conscients alors que “le petit petit de ces frères” est précieux aux yeux de Dieu. A son tour, cette conscience nous permettra de voir que toute la création de Dieu n’est qu’un seul monde et que tous les gens sont le peuple de Dieu et nos voisins. Vivre dans l’Esprit de Dieu nous permettra non seulement de découvrir nos voisins, il nous empêchera de blesser ou même d’offenser ces voisins.
Notre monde rétrécissant fait de nous tous des voisins proches, et nous devrions donc constater deux faits sur notre nature, comme habitants de ce monde. L’un, c’est que nous différons beaucoup en couleurs, en styles de vie, en cultures, en croyances. L’autre fait, c’est que nous nous ressemblons énormément. Il y a éventail formidable de besoins et de désirs communs, de peurs et d’espoirs qui nous lient les uns aux autres dans notre humanité. Le bien-être d’un chacun est lié intimement au bien-être d’autrui.
Depuis le début, les gens s’engagent dans une recherche universelle du sens de la vie, mais on a transformé cette recherche en lutte pour une idéologie, une religion, une nation particulière. Notre âge des progrès inégalés dans l‘éducation, les sciences et la technologie a été un âge d‘énorme violence. En même temps la nécessité d’une compréhension imaginative, d’une confiance simple et d’une coopération créatrice n’a jamais été plus urgente. Peut-être que l’heure est venue de nous unir tous dans les affirmations communes de la vie. Ces affirmations pourraient être les suivantes:
• Un sermon d’honorer et de respecter chaque race, chaque culture, chaque religion, chaque individu.
• Reconnaître le droit de chaque individu sur les ressources de la terre, pour les nécessités de la vie humaine, et l’obligation morale que les nantis partagent avec les moins nantis.
• Le droit et la responsabilité de chaque individu d’utiliser ses talents, ses énergies et ses ressources au bienfait de la communauté.
• Un engagement à la recherche de valeurs universelles – malgré les différences d’expression – dans l’espoir que celles-ci aideront l’individu et la communauté à surmonter l’avarice, le pouvoir, et l‘égoïsme.
• Affirmation de la “présence”, la présence d’un esprit d’espoir et de compassion disponible à tous par lequel notre vie peut devenir plus complète, plus créatrice et plus harmonieuse comme nous puisons directement dans cette puissance qui est autour de nous, en nous, et dans toute vie.
Nous ne pouvons pas vivre un seul jour sans dire “oui” ou “non” pour la mort ou pour la vie, pour la guerre ou pour la paix. Le choix est à nous. Il n’y a aucun compromis dans l’affaire. Reporter ou éviter une décision, c’est décider. Compromettre est une décision aussi. Il n’y a aucune évasion possible, ceci est notre défi et notre obligation comme vrais disciples du Prince de la Paix.
Prions pour la venue du Saint-Esprit qui donne la puissance aux hommes et aux femmes pour créer la communauté, à Jérusalem et jusqu’aux extrémités de la terre.
Seigneur,
fais de nous des instruments de ta justice. Fais de nous des instruments de ta paix.
Fais de nous des instruments pour le renouveau de ta création.
Que ton royaume vienne, que ta volonté soit faite.
Thy kingdom come, thy will be done.
Références:
1 Prononcé par Edicio de la Torre en 1990 lors de la Consultation sur la Justice, le Paix et l’Intégralité de la Création du Conseil œcuménique des Eglises, “Now is the time”, Seoul, 1990.
2 The Bible & Colonialism, Michael Prior, CM. Sheffield Academic Press, UK, 1997.